Le Bousier

Publié le par Magali

[Nouvelle courte, mon chef d'oeuvre de 2015. Je dis chef d'oeuvre, car avant ce texte produit pour un atelier d'écriture, je n'arrivais pas à structurer mes récits. Je faisais beaucoup d'aller-retours, des dedans-dehors, etc. Suite à ce texte qui m'a peut-être pris une douzaine d'heures, j'ai "débloqué" un truc chez moi. Depuis, mes histoires ressemblent à des histoires, même si je rencontre d'autres difficultés.]

« Il faut s’imaginer Sisyphe heureux » Camus.

 

Il est midi. La chaleur est étouffante dans la décharge. Il fait si chaud que l’horizon boursouflé de plastiques noirs et bleu-essence vacille. Les déchets suintent sous l’acidité des rayons du soleil au zénith. L’odeur du lixiviat* se mêlent aux vapeurs piquantes des denrées en putréfaction.  Tout se décompose. Tout se meurt. Même le sol s’effondre par endroit, ployant sous les décombre. C’est dans ce décor fétide, qu’un bousier gravit une poubelle.

Dans sa robe noire et luisante, le Scarabeus Sacer, progresse à reculons. Il a le chaperon baissé et le cul en l’air. De ses deux longues pattes postérieures, il pousse une énorme pelote fécale.  La sphère fait deux fois sa taille et six fois son poids. Le bousier avance lentement, laborieusement. Chaque pas manque de renverser la pelote et lui avec. Les pattes intermédiaires du bousier s’agrippent férocement au plastique noir. Mais la chaleur a fait suer le sac et il est devenu glissant.

Soudain, une patte ripe. Le boursier s’écroule sur le flanc. Il est entrainé par la pelote. Le temps de la serrer plus fort contre son abdomen qu’elle le renverse et qu’ils roulent tout deux aux abymes.

Le bousier reste un moment  étendu sur le dos, la pelote dans les bras. Puis, il desserre l’étreinte.  Il se relève. Ses antennes s’agitent une seconde avant de se tendre vers la poubelle, immense, infinie. Lentement, il se retourne, soulève son arrière-train et, de ses deux pattes arrières, brandit  la pelote. Puis, il soulève sa petite patte intermédiaire droite, la recule d’un geste infime. Et la laisse s’abattre sourdement. Avec la même détermination, il recule la patte intermédiaire gauche. Et il recommence. Patte intermédiaire droite. Patte intermédiaire gauche. Le bousier est résolu a poussé son fardeau jusqu’au sommet.

 Pourtant, après quelques pas à peine, la pelote fécale, à nouveau le renverse. 

L’après-midi s’avance dans la décharge. Le soleil se fait moins terrible. Des ombres se dessinent sur les dunes de détritus. Un rat sort son museau et le lève en direction du ciel clair. Un autre, crève du cellophane pour en voler la viande verdâtre. Sur  un sac en plastique luisant, un scarabée sacré exécute le supplice de l’ascension mille fois recommencée, mille fois échouée.

Publié dans Nouvelles

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