Autoportrait

Publié le par Tamina

[Autoportrait écrit en 2016. Autobiographique, donc. Comme tous les trucs autobiographiques, je les range dans la catégorie "Fragments", car ils sont les fragments d'un truc plus grand "ma vie, mon oeuvre". Plus sérieusement, j'aspire à rassembler tous les fragments, un jour, pour en faire quelque chose. On verra quoi.]


Marchant dans la rue, je vois mon reflet dans un miroir. J’ai ressent un grand étonnement. Traits pour traits, je ressemble à l’image que je me faisais, lycéenne, de l’étudiante que je serais quelques années plus tard.

 Alors qu’à l’époque, je portais les cheveux très courts à la garçonne, pourtant il me semblait évident que je ne pouvais être qu’une étudiante au cheveux longs. Je me voyais nouer une lourde natte lâche qui coulerait sur l’une de mes épaules, exactement comme cette fille dans le reflet. J’imaginais des vêtements confortables, élégants, aussi doux au toucher que l’énorme poncho noir et distingué que je porte aujourd’hui et que j’adore. Je ne savais pas si je perdrais du poids, mais il fallait que mes jambes soient minces et aussi interminables que ma petite taille pouvait le permettre ; et forte heureusement, je suis sortie de ce que le médecin de famille avait eu le goût de définir comme « petite obésité ». Je savais que j’aurais un cahier ou un livre à la main. Je m’imaginais avec une œuvre littéraire ou un classique de philosophie mais je n’ai pas moins d’orgueil à tenir un des grands classiques de la psychanalyse contemporaine sous mon bras. Bien entendu, je m’imaginais belle. Le genre qui pétille comme un champagne rosé. Et force est de constater, que même s’il devait ne pas y avoir l’ivresse, on choisirait le flacon.

 J’ai de grands yeux noirs, le regard intelligent quand il n’est pas timide ou farceur. Une bouche aussi pulpeuse qu’un fruit trop mûr, les joues charnues, et ce je-ne-sais-quoi de doré, d’un peu tanné dans la couleur de ma peau qui donne l’impression que je viens d’un ailleurs un peu plus chaud, un peu plus sauvage. Je ne crois pas m’avancer de trop pour dire qu’auprès des hommes comme des femmes, je mérite mon petit succès.

Ce que je n’imaginais pas, en revanche, c’est que je ne porterais aucune marque des torsions que m’a fait subir la vie. Nulle cicatrice témoignant de ce jour où l’on m’a arraché le cœur pour arroser de sang la mise en bière de celui que j’aimais. Nulle ride racontant les hurlements qui alors déchirés mon visage.  Là où la douleur froisse les traits des autres, elle semble avoir figé les miens dans une jeunesse sans âge. A la limite, en s’approchant très près de ce reflet, je peux apercevoir une légère ombre mauve sous mes yeux, qui me donne peut-être cet air un peu las ; seule trace du ravage passé.

A me voir comme ça, repartir gaiement comme pour aller quelque part où quelqu’un m’attend, je semble n’avoir pas plus d’histoire qu’un myosotis au printemps. 

Publié dans Fragments

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